lundi 11 mai 2015

La Mystérieuse Mme Je : Baleine échouée

Aujourd’hui, j’ai décidé que je mélangeais Plaisir et travail. Aujourd’hui, je vais à la plage! Je vais prendre du soleil pour me revigorer (je fais de la photosynthèse pour survivre) et ensuite me sauver dans le lac pour me rafraîchir (il faut nourrir les plantes avec de l’eau pour qu’elles survivent quand même!) pour terminer avec un bon pique-nique, gracieuseté de Mme Mom et moi. Mme Mom m’a fait d’excellents sandwiches aux œufs ainsi que des œufs farcis. J’adore les œufs farcis! Mme Mom voulait me féliciter pour mes bonnes notes et mon avancement rapide dans mon cours de mathématique. Il faut dire que je suis allée au Cégep en Arts et Lettres : Profil Langues juste pour ne plus jamais faire de mathématiques et me voici en mathématiques avancées et complètement passionnée!

Pour en revenir avec mon pique-nique, je me suis aussi amené des fraises fraîches que j’ai coupées le matin même, des raisons rouges, de différentes sortes de pommes, des craquelins et un peu de chocolat noir 75 % comme dessert. J’étais en route et j’avais déjà hâte de manger! Mon muffin bananes et pacanes faisait toutefois amplement l’affaire. Accompagné d’un latté frappé à la vanille dans cette température exotique, c’était le paradis!

Je faisais vraiment été en plus en arrivant dans ma voiture jaune lime, mes grosses lunettes de soleil, ma robe d’été jaune avec mon bikini jaune et mes gougounes. Oui, j’étais en thématique soleil avec tout ce jaune! Mon bikini me rendait quelque peu nerveuse… Je montrais beaucoup de peau et il était légèrement petit pour mes formes corpulentes, ce bikini… Passer de petite mince portant de l’« extra small » à du « large »… Un gros 50lbs de médicaments et de dépression… mais j’en ai perdu la moitié déjà! Sinon je ne serais pas allée à la plage, probablement. La société est laide comme ça! Maintenant, je suis bien dans ma peau et si les autres ne me trouvent pas de leur goût, eh bien ce sera leur perte!

Je me dirigeai vers une table à pique-nique sous un arbre, à moitié à l’ombre, avec ma glacière et mon sac de plage (lui il était rayé rouge et blanc à la « navy » par contre, brisant quelque peu la thématique…) avec un sourire lumineux au visage. J’installai ma glacière sous la table, mit mon sac avec mes livres, mes crayons et autres effets scolaires sur le banc tout en sortant ma crème solaire spéciale pour peaux sensibles et hypo allergène pour m’en étendre partout, partout, partout! Moi et ma peau de fausse rousse… comme j’aimerais avoir de beaux cheveux roux!

Il y avait beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes ce jour-là. La pression sociale d’être une créature sociable se faisait sentir lorsque les gens prenaient trente secondes pour regarder autour et essayer de trouver un troupeau de moutons qui viendrait me rejoindre. Et non, je suis un mouton noir qui apprécie des moments « de moi à moi ». Je l’aimais ma laine quoique je ne dirais pas qu’elle est noire; je la vois plutôt rouge avec des taches de fuchsia, comme celles d’un adorable veau. Qu’ils regardent et cherchent, ces gens curieux! Ils vont tout simplement voir une jeune femme confiante, bien dans sa peau et qui se fiche bien qu’on la juge ou pas!

Le sable sous mes pieds était chaud – voire brûlant — et j’y passai assez de temps à me chercher un endroit plus ou moins tranquille pour y étendre ma serviette de plage et m’allonger dessus. Pas que je n’aime pas les enfants! J’aime plutôt le calme et de pouvoir m’étendre en paix sans avoir peur de recevoir un ballon en pleine figure ou me faire piler dessus. J’avais amené mon cellulaire avec moi pour me créer un havre de paix avec de la musique aux oreilles et non des cris et blas blas. Tout pour faire mon bain de soleil un moment parfait!

Je restai couchée pendant un peu plus d’une heure à me faire griller, me retournant une fois de temps en temps pour essayer d’égaler le semblant de bronzage que j’allais peut-être avoir à la fin de la journée. Après ce temps de vitamine D en grande quantité, je me levai pour retourner à ma table et ranger mon cellulaire dans une bouteille d’huile à bronzage (qu’une amie m’avait donnée bien sûr, car je ne peux porter ce genre de produit sans avoir peur d’attraper le cancer instantanément) pour le camoufler et éviter de me le faire voler. Il était en mode silencieux, bien sûr, car ce ne serait pas un bon camouflage sinon. Je mangeai quelques raisins et une pomme; le soleil m’avait fatiguée, donc le sucre naturel dans mes fruits allait m’aider à me garder pleine d’énergie tout en ne risquant pas de me bourrer trop que je ne soie plus capable de manger mes bons œufs plus tard. Je veux mes œufs! (Je suis complètement nulle en cuisine pour ce qui concerne les œufs, mais je suis sacrément douée pour les manger par contre! Je pourrais en manger jusqu’à ce qu’on doive me rouler jusqu’à chez moi!)

Une fois ma collation santé terminée (et mon verre de frappé fait de plastique dans un bac à recyclage et non dans une poubelle), je me dirigeai à nouveau vers la plage avec ma serviette, la laissant en boule sur une grosse roche près de l’eau. J’y mis un orteil et passai proche de crier tellement c’était FROID! Ma peau brûlante n’aide pas avec le passage du chaud au tiède. Il y avait donc qu’une seule façon de procéder lors de ce genre de situation : BANZAI! Je me mis à courir dans l’eau là où il n’y avait pas beaucoup de monde, sur le bord des bouées. Je plongeai finalement tête première dans l’eau en prenant bien soin de bloquer mon nez pour me submerger au complet et ainsi aider mon corps à changer de température. Je revins à la surface en gloussant doucement et en frissonnant légèrement; ça allait partir rapidement, mon corps allait s’habituer à cette nouvelle température. Je me mis à patauger et à me laisser bercer par le semblant de vagues que ce lac artificiel pouvait offrir.

Quand, soudainement, un ballon de plage m’éclaboussa en atterrissant tout près de mon visage. Je me redressai, surprise, et les trois enfants à qui appartenait le ballon cessèrent de rire en voyant mon air ébahi. Je pris leur ballon en souriant et y donna un coup de poignet pour le renvoyer dans leur direction. Visiblement, j’avais besoin d'entraînement si jamais je voulais me mettre à jouer au volley-ball. Je continuais de me baigner et les enfants, maintenant beaucoup moins gênés et embêtés sachant qu’ils ne me dérangeaient pas, me faisaient de grands signes de bras lorsque le ballon tombait dans mon petit coin de lac tranquille pour que je leur renvoie.

Bon, c’était temps de terminé cette agréable baignade pour commencer les choses sérieuses; les mathématiques! (Et mon excellente nourriture.) Alors que je sortis de l’eau, je pris le temps de m’assurer que mon maillot de bain était bien ajusté et n’allait pas donner lieu à une scène indécente. Une fois le tout bien en place, je me relevai, prit ma serviette pour ensuite l’enrouler autour de mon corps frissonnant sous la douce brise. Je pris mes longs cheveux entre mes mains pour les tordre, mettant mes gougounes en même temps et me dirigeant par la suite vers ma table.

En m’approchant, je vis une bande de jeunes non loin d’un petit casse-croûte sur roues me regarder. Ils avaient entre 18 et 24 ans (mais je suis tout à fait nulle pour jauger les âges des gens) et avaient presque tous un sourire narquois ou un air hautain fièrement affiché sur leur visage qui me semblait soudainement hideux. Quelques-unes des filles étaient jolies et peut-être un ou deux des gars aussi, bien sûr, mais c’était leur intérieur, leur âme, qui puait.
Bon, peut-être que je juge trop vite. Je vais leur laisser une chance même si c’est clair que ces regards moqueurs et ces rires malveillants m’étaient destinés. Je serrai des dents en tentant de les ignorer jusqu’à ce qu’on m’interpelle.

— La baleine s’est échouée et est sortie de l’eau?

C’était un des jeunes hommes avec les cheveux courts, la frange châtain presque devant les yeux, un sourire narquois me dardant tel mille et une dagues, ses jeans vraiment trop serrés et son chandail sans manches où on voyait ses poils d’aisselle dont tout cet assemblage me rendait malade. Non seulement ça, mais aussi parce qu’on venait de me traiter de grosse sans vraiment essayer de le cacher. Toute sa bande de harpies se mit à rire alors que mes jambes cessaient d’être capables de fonctionner, que mettre un pied devant l’autre semblait venir tout droit d’un dictionnaire latin. Je ne comprenais plus comment fonctionner.

— Oh, on t’a blessé?

Une rage fulgurante s’empara de moi. Les gens autour ne semblaient pas vouloir s’en mêler, me laissant être intimidée, faisant comme si je n’existais pas et comme si ces jeunes étaient des anges, tout simplement. Je sentais mon corps s’embraser autant que mon humeur et mon visage devenir rouge; avec ma peau si pâle, aussitôt que je ressentais une émotion (rage, anxiété, peine, joie, gêne…) je devenais vite écarlate. Je me plantai carrée devant eux, prête à couleur leur bateau.

— Retourne à l’école, niais. Le verbe s’échouer veut dire caler au fond, donc ne sort pas de l’eau.

Ils se mirent à rire et quelques un lui donnèrent un coup de coude… soit parce qu’ils trouvaient drôle que je le corrige sur la mauvaise utilisation du verbe échouer ou bien parce qu’ils trouvaient ça hilarant que je sois offusquée. Je sentais le rouge me remplir, prêt à déborder.

— Va te cacher la grosse, c’est indécent ce que tu portes.

— Dis la fille qui porte un haut tube et un chandail avec plus de trous que de tissus. Je suis en maillot, je viens de me baigner, toi tu sais juste pas t’habiller.

Elle était en jupe très courte en jean bleu, un haut tube cachant seulement sa toute petite poitrine et ce qui me semblait être un bout de tissus plié en deux avec un trou pour la tête. Tête qu’elle n’avait pas sur ses épaules. La fille – une des cutes — sembla offusquée à son tour et alors que je m’en allais, fière d’avoir pu glisser le dernier mot, ils me lancèrent des « ta gueule, grosse vache » et autres louanges du genre. J’avais les larmes aux yeux alors que je me laissais tomber comme une roche sur mon banc, prenant avec rage mon sac pour sortir mon livre de mathématiques alors que le soleil se cachait derrière un lit de nuages gris. Il commençait à se faire frisquet. Je mis ma serviette humide autour de moi comme une couverture, prenant un crayon et une gomme à effacer pour commencer à travailler. Mais ma tête allait à cent mille à l’heure, je n’arriverais jamais à me concentrer. Je n’en revenais pas qu’on m’ait traitée de baleine, de vache et d’indécente!
Bon, d’accord, tout ce que je porte est indécent, car j’ai une poitrine beaucoup plus volumineuse que le reste de mon corps, mais ce n’était pas une raison de m’interpeler de la sorte! Crème glacée. La crème glacée me ferait du bien.

— Tu t’es bien défendue là-bas.

Je sursautais presque. Je levai les yeux pour voir qu’un des jeunes hommes de la table des tyrans. Il avait un sourire étrange au visage et je n’arrivais pas à le déchiffrer. Il ressemblait à l’acteur dans Pitch Perfect, Skylar Astin, donc il était plutôt mignon, mais je n’arrivais pas à me concentrer sur sa beauté parce que j’étais trop frustrée. Il voyait bien que j’étais visiblement contrariée, donc haussa les mains. Comme si ça allait changer mon envie de lui cracher au visage.

— Je me suis bien défendue, mais tu viens pour le coup de grâce, c’est ça?

— Non, non, je me demandais tout simplement comment s’en sortait la jolie dame après s’être fait blesser par des idiots.

— J’espère que tu t’inclus dans la catégorie « idiots »?

J’avais eu du mal à prononcer mes paroles. Venait-il de dire que j’étais une « jolie dame »? C'était effectivement sorti tout croche et j’étais maintenant rouge, mais d’embarras. Je ne le dardais plus du regard, je me concentrais sur mon sac à main. J’allais m’acheter une sucrerie pour essayer de me remonter le moral. Un Mr. Freeze au pire parce que je suis intolérante au lactose.
Mais je n’arrivais pas à trouver mon porte-feuille. Je commençais à paniquer, blêmissant soudainement et lâchai un gros juron en mettant mon sac sur la table avec fureur sans arrêter de chercher, même si je savais que mon portefeuille de la même couleur que ma voiture ne s’y trouvait pas. Il se mit à rire. Revoilà mon regard plein de venin.

— C’est eux qui l’ont pris, c’est ça?! Je vais aller leur casser la gueule!

Il rit à nouveau et m’imita, comme pour m’inciter à me calmer. Il mettait de l’huile sur le feu. Alors que j’enjambais le banc pour me diriger vers la bande de truands et leur montrer ma façon de penser, il se pencha et prit quelque chose de sous la table; mon portefeuille. J’étais irritée.

— C’est toi qui l’avais?! Redonne-moi mon portefeuille, maudit voleur!

— Je voulais juste voir comment tu allais réagir. C’est assez impressionnant que tu sois prête à te mettre une bande de gars musclés à dos pour sauver ton honneur.

J’étais sans mot. J’ouvris la bouche pour sortir une remarque, mais rien ne me venait. C’était rare que je ne susse pas quoi répliquer. Je me rassieds tout simplement, boudeuse, irritée, confuse… Je n’avais malheureusement pas mes médicaments pour mes crises de panique et j’en sentais une monter. Cette confusion m’empêchant de parler et de bouger convenablement était les premiers signes d’une crise d’anxiété imminente.

— Allez, souris. Tu es beaucoup plus jolie quand tu souris.

— Tu passes de l’intimidation à essayer d’être charmeur pour te ramasser une fille? Ça fonctionne bien pour toi?


Il se mit à rire et me tendit mon portefeuille que je tentai de prendre rapidement, mais ma main se posa sur la sienne et je relevai un regard surpris parce que sa main était chaude et douce et la mienne était froide et ratatinée par l’eau. Je devais être super belle à regarder; ratatinée, rouge avec des plaques un peu partout à cause de mon anxiété, les cheveux pêle-mêle parce que je ne les avais pas brossés depuis que j’étais sortie de l’eau, toute mouillée… Je levai mon regard pour croiser le sien et j’étais figée, là, le regard dans le sien. Il cessa de sourire et devint soudainement très sérieux. Mais sa main restait là, en dessous de la mienne. Je ne sais pas combien de temps ce moment intense dura, mais je repris le dessus de mon corps et retirai ma main rapidement, laissant mon portefeuille sur la table. Il prit son cellulaire et se concentra dessus, comme si je n’existais plus. J’en profitai pour reprendre mon portefeuille et mon livre et mon crayon et ma gomme à effacer pour tout remettre dans mon sac et disparaître.