Elle est
revenue. Celle dont je croyais m’être noyée sous ma tristesse et la pitié que
je portais pour moi. Elle est de retour… avec un certain prix. Je croyais m’être
perdue à jamais. Cette fille capable d’aimer plus qu’elle s’aimerait elle-même,
cette fille prête à tout sacrifier pour ses proches et elle en sacrifierait
même beaucoup pour des inconnus. La dépression a pesé fort sur mes épaules sur
les dernières années et ma maladie a commencé à se faire voir peu à peu jusqu’à
ce que je me dise que je ne peux continuer de me faire mal ainsi, de me tuer à
petit feu même si l’on m’a dit que je n’allais probablement pas voir le cap de
mes 40 ans… pas de petits enfants… pas de retraite… pas de rêve réalisé. Je
suis toujours une petite fille et le serai toujours, car même si j’ai retrouvé
ma personnalité enflammée, aimante, généreuse, cela ne m’empêche pas de garder
ma fragilité et mon innocence, ma créativité.
Le prix à
payer était cher. Les gens qui ne voient pas, les aveugles de ce monde qui
ne voient que le bout de leur nez ou bien qui font un blocage sur tout ce qui
les entoure n’ont pas ce genre de prix à payer et vivent dans l’ignorance de ce
que c’est que d’être en vie, véritablement. Il faut effectivement souffrir,
tomber, s’érafler les genoux, se déchirer la peau des mains, se cogner la tête
et se faire pousser pour s’ouvrir les yeux. On n’en ressort pas ou bien on
devient un véritable chef-d’œuvre; on devient la personne que nous voulons être
ou bien nous savons que nous sommes meilleurs et nous améliorerons toujours. J’étais
en chute libre pour les huit dernières années de ma vie. C’est plus que le
tiers de ma vie entière! Je m’accrochais et m’écorchais sur les falaises
acérées, dures, tranchantes et brutales. Et puis la thérapie a commencé. La
médication. Moi qui ne voulais jamais régler ma vie avec la médication, me
voilà incapable de survivre sans. La dernière augmentation il y a quelques
semaines suivant ma séparation abrupte m’a fait me détacher complètement de ma
personne. Je n’étais plus triste. Je ne ressentais plus de douleur. Certes, je
me sentais seule après un an de vie commune, ce qui n’est que normal. Je me
sentais bien… quoique je me sentais vide, mais je gardais les yeux fermés. Ce
choc si dur, si soudain était trop difficile. C’était trop difficile de vivre
avec ça sur le cœur. Donc j’ai tout fermé. Je n’ai rien ressenti pendant un bon
3 jours. Rien. Rien du tout. Je semblais normal, je souriais, je faisais des
blagues et je disais que je me sentais seule, je manipulais, j’étais arrogante.
Une personne normale, quoi. Mais je ne ressentais rien en dedans. Plus les
jours passaient, plus je ressentais, mais avec détachement. Comme si mes
sentiments n’étaient pas réels. Sauf la colère. La colère venait me chercher,
me faisait bouillir en dedans. Mais j’ai appris alors que je chutais que la
colère ne sert qu’à se faire du mal et avoir honte de soi par la suite. Donc je
vais me coucher quand je suis en colère et lors de mon réveil, je ne ressens
plus de colère. Je peux être amer, mais pas frustrée. La preuve que dormir sur
une idée nous guide vraiment.
Le prix à
payer est grand. Trop grand pour la nouvelle moi. Une chance que le prix à
payer est pour l’ancienne moi. Celle qui était forte et prenait le tout avec
brio. Bon… c’est certain que je retiens encore beaucoup du caractère que je me
suis forgé durant les huit dernières années, comme le fait de me laisser le
droit de pleurer pour laisser sortir les émotions et comprendre ma douleur. Je
pleure là. Oui, oui, en ce moment même. Je pleure, car le futur parfait que je
m’étais fait avant d’ouvrir les yeux, avant de comprendre de quoi est vraiment
fait ce monde, a disparu et ne pourra être réalisé en totalité. Depuis toute
petite et jusqu’à la fin de mon adolescence, j’étais certaine comme l’eau de
roche que j’allais me marier avec mon prince charmant à mes 23 ans, que j’achetais
ma maison à mes 25 ans, et que j’aurais mon premier enfant à 29 ans avec mon
doctorat en main. Me voilà à 23 ans, seule, de retour chez Monsieur Dad et Madame
Mom, car ma vie commune ne fonctionnait plus, ne faisait plus son affaire. J’étais
trop difficile à vivre avec. J’étais trop malade. Maintenant que je me sens
mieux, il ne veut plus de moi, car je l’ai trop blessé de mon ignorance, de ma
propre douleur et de ma dépression, mes chicanes, mes irritations, mes défauts.
Mais je ne suis pas qu’ignorante, en douleur, dépressive, toujours en train de
me chicaner, irritée et je n’ai surtout pas tous les défauts du monde. Je suis
parfaitement imparfaite. Je suis humaine et je suis heureuse d’être en vie. Je
ne pense plus à me faire du mal. Je ne pense plus à en finir avec ma vie parce
que c’est trop dur. Je sais que c’est difficile et qu’il va encore y avoir d’autre
bas. Mais je suis entourée de personne que j’aime et je comprends maintenant
comment je fonctionne, quoi faire pour me sentir mieux, pour essayer de ne me
frustrer sans aucune raison ou pour de petites conneries.
Le fait qu’il
aille à l’hôpital a réveillé en moi ma compassion, mais, surtout, mon amour
pour lui… Monsieur Jeleveux a fait une crise d’appendicite. Deux jours à l’hôpital.
Une opération. Je suis allée le mener à l’hôpital pour 8 h du matin à au
moins une demi-heure de route ou même presque une heure. Nous avons passé
quatre heures là et j’ai dû déplacer ma voiture de la rue à deux reprises, car
il y avait un maximum de deux heures de stationnement. La deuxième fois que je
suis allée déplacer ma voiture, j’ai allumé le chauffage avant de partir, mise la
musique pour ne pas me geler les doigts ni les orteils et la voiture de la
ville s’est stationnée derrière moi, prête à me donner une contravention. Je
suis partie en souriant. La seule chose qui m’a fait sourire de la journée. Ça
et savoir qu’il n’était plus en douleur constante. Je n’avais pas dormi plus de
20 minutes cette nuit-là. Beaucoup trop inquiète pour rien… vraiment rien… En
fait, j’étais inquiète, car je me réveillais de mon inertie. Tous mes
sentiments, ma personnalité, tout ce qui me représentait avant se réveillaient
et je ne me sentais pas bien. Que faire dans ces situations? Du bénévolat. Je
fais du bénévolat tous les vendredis pour une femme que je connais. Elle ouvre
sa propre petite compagnie pour fournir fruits et légumes
biologiques/organiques aux gens. Elle veut faire de la sensibilisation pour des
fruits et légumes bio et, la voyant enceinte, je ne pouvais la laisser porter
ces grosses boîtes, parler à tous les clients, s’assurer qu’ils aient
correctement leurs gratuités de la semaine.
Je n’ai pas
encore dormi. Je me dirige chez moi par la suite. Je reçois un appel. On l’opère.
Je dois aller lui chercher des papiers au boulot pour sa convalescence. Je pars
donc plus tôt que prévu et me dirige à l’autre bout de la ville pour faire cela
pour lui. Je commence à comprendre… mais je ne veux pas me l’avouer. Pourquoi
ferais-je cela pour un homme qui n’en a plus rien à foutre de moi? Il reste
toutefois très gentil à mon égard, certes… mais il est toujours mal à l’aise en
ma présence. Je me propose bien sûr pour faire toutes ces choses-là pour lui.
Je retourne ensuite à l’hôpital, celle-ci beaucoup plus près, m’attendant à ne
pas le voir avant son opération… mais j’arrive juste à temps. En même temps que
l’infirmier de chirurgie vient le chercher. Je les suis donc, la civière et les
parents de Monsieur Jeleveux. L’infirmier est très gentil, sent ma nervosité et
m’inclut donc à la conversation avec un sourire chaleureux.
— Et c’est
qui elle? Ta sœur? Ta blonde.
Petit
silence avec un léger malaise alors que l’infirmier me regarde, que le père de
Monsieur Jeleveux me regarde et sa mère regarde son fils.
— Mon ex.
— Ton ex! J’en
veux une jolie ex de même moi aussi, qui vient s’assurer que je vais bien avant
de me faire opérer!
Je souris.
Je rougis. Je regarde MON ex qui m’évite évidemment du regard et rit de
malaise. Il sait que l’infirmier a raison, mais sait aussi qu’il ne veut plus
de moi, peu importe ce que je fais pour lui.
Ça fait
mal, c’est certain. Il ne s’appelle pas Monsieur Jeleveux pour rien… Je ressens
la douleur, mais l’accepte. Je laisse mes larmes couler alors que je me dis « Pourquoi
je fais tout cela pour lui ? » Parce que je suis généreuse et gentille de
nature. Je suis une mère innée. Je veux prendre soin de tout le monde et m’assurer
que tous vont bien. Voilà pourquoi ça vaut la peine même si je dois à nouveau
surmonter mon amour pour lui, me dire qu’il ne plus mien… et il faut surtout
que je comprends que je ne suis plus sienne. Je veux qu’il le comprenne aussi,
mais je suis pas mal certaine qu’il l’a déjà fait en me délaissant. Je lui en
veux. Bien sûr que je lui en veux! Il a détruit mon avenir. Il m’a laissée
tomber comme tant d’autres. Il a brisé le cœur qu’il a juré protéger. Il a
brisé sa promesse me disant qu’il ne me laisserait pas à cause de ma maladie…
Mais il m’a
ramenée à la vie. Et je lui en suis infiniment reconnaissante. Je me sens seule,
c’est certain. Mais, au moins, j’ai du temps pour moi. Je vais entreprendre des
projets qui me plaisent. Faire des activités qui me plaisent. M’entourer de
gens qui m’aiment pour qui je suis, peu importe mon état de santé et j’ai
tellement de gens qui m’aiment et que je n’ai pas aimés à mon retour… Je vous
aime. Ne l’oubliez pas. Je ne vous le dis pas assez souvent, je ne vous vois
pas assez souvent non plus. Mais je vais bien. Je suis triste, mais je vais
bien. Ne vous inquiétez plus pour moi. Je vais survivre, car j’en ai envie.
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